Fri, 21 Jul 2023 in Refuge: Canada’s Journal on Refugees
L’adaptation des services à la Clinique santé ses réfugiés de Québec : une réponse aux impacts de la pandémie de COVID-19 chez des personnes réfugiées
Resumé
Cet article a pour but de documenter l’adaptation des services de la Clinique santé des réfugiés de Québec pendant les première et deuxième vagues de la pandémie de COVID-19. En s’appuyant sur un devis de recherche qualitative, des entrevues semi-structurées ont été réalisées auprès des intervenantes et intervenants ayant travaillé à cette clinique. Les résultats ont été systématisés selon les thématiques suivantes : adaptation des services, outil de dépistage, déroulement des interventions, besoins des personnes réfugiées durant la pandémie et retombées de l’adaptation des services. La reconnaissance que les personnes réfugiées constituent une population vulnérable a été essentielle pour empêcher une rupture de l’offre de services, jouant ainsi un rôle de prévention.
Abstract
The aim of this article is to document the adaptation of services at the Quebec City Refugee Health Clinic during the first and second waves of the COVID-19 pandemic. Based on a qualitative research design, semi-structured interviews were conducted with health care workers who had worked at the clinic. The results were systematized according to the following themes: adaptation of services, screening tool, course of interventions, needs of refugees during the pandemic and impact of service adaptation. Recognition that refugees constitute a vulnerable population was essential in preventing a breakdown in the supply of services, thus playing a preventive role.
Main Text
Au début de l’année 2020, l’Organisation mondiale de la santé s’est prononcée quant à l’état d’urgence de santé publique en lien avec l’émergence du coronavirus SARS-Cov-2, plus connu comme la COVID-19. En quelques semaines, cet état d’urgence s’est transformé en pandémie, requérant la mise en place de différentes mesures sanitaires de protection afin de limiter la transmission du virus et, par conséquent, de préserver la santé des populations. Au Canada, les frontières ont été fermées et chaque province a posé certaines actions pour affronter la crise qui s’installait peu à peu sur son territoire. Au Québec, plusieurs services du réseau de la santé et des services sociaux ont été délestés afin de gérer la situation de crise dans certains milieux à risque. Il est devenu de plus en plus évident que le virus n’était pas « démocratique », c’est-à-dire que tous les citoyens, compte tenu de leurs caractéristiques personnelles, ne couraient pas les mêmes risques d’être infectés. En effet, la communauté scientifique s’est rendu compte que certaines populations étaient beaucoup plus susceptibles d’être exposées au virus ainsi que d’être affectées par les conséquences des mesures sanitaires. Ceci était le cas, par exemple, des personnes réfugiées.1
Différentes études au sujet des impacts de la pandémie de COVID-19 sur les personnes à statut migratoire précaire, dont les personnes réfugiées, mettent en évidence des enjeux structurels, des enjeux sociaux et des facteurs de risque aggravés par la pandémie ainsi que des facteurs de protection ayant aidé les personnes immigrantes à faire face aux difficultés engendrées par la pandémie. Ces études, publiées depuis mars 2020, ont été réalisées dans les pays suivants : l’Australie, la Belgique, le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Espagne.
Concernant les enjeux structurels et sociaux aggravés par la pandémie, plusieurs auteurs affirment que la pandémie a augmenté les inégalités structurelles et sociales existantes chez les populations immigrantes (Arya et al., 2021; Cross et Gonzalez Benson, 2020; Debelder et Manço, 2020; Donà, 2021; Guttmann et al., 2020; Pinzón-Espinosa et al., 2021; Rousseau et al., 2020). Certains facteurs structurels et sociaux, tels que le statut migratoire, l’accès aux services de santé, les barrières linguistiques, la pauvreté, les conditions de logement ainsi que l’emploi, mettent plus à risque les personnes immigrantes d’attraper la COVID-19, ce que Donà (2021) définit comme une forme de violence structurelle. Tout d’abord, les personnes immigrantes ont été plus touchées par les impacts négatifs de la pandémie, entre autres, en raison de leur statut. Par ailleurs, en Suède, l’accès aux soins de santé est plus difficile pour les personnes réfugiées, en raison des obstacles culturels, du manque de confiance envers les professionnels de la santé et des difficultés de communication, bien qu’elles aient les mêmes droits que la population générale sur ce plan (Mangrio et al., 2020). Les barrières linguistiques affectent également la capacité des personnes immigrantes à avoir accès à l’information sur les consignes de santé publique qui leur permettrait de se protéger adéquatement. Elles auront tendance à utiliser les médias alternatifs dans leur langue d’origine pour s’informer, pouvant ainsi s’exposer à des informations qui ne correspondent pas à la réalité (Donà, 2021; Valeriani et al., 2020). En outre, Donà (2021) affirme que les conditions de pauvreté exposent encore plus les personnes immigrantes à la COVID-19. Selon une étude de Mangrio et collaborateurs (2020), les personnes réfugiées de la Somalie et de l’Érythrée habitant dans des régions défavorisées et surpeuplées de la Suède étaient parmi les groupes présentant un taux plus élevé de décès en raison de la COVID-19. Cette plus grande exposition au virus est souvent engendrée par les mauvaises conditions de logement dans ces quartiers. L’emploi est également un facteur structurel mettant à risque les personnes immigrantes. Selon Donà (2021), ces dernières occupent souvent des emplois dans des domaines essentiels comme la santé et, ne pouvant pas faire de télétravail, elles s’exposent davantage au virus de la COVID-19.
En ce qui concerne les facteurs de risque aggravés par la pandémie, il est question des facteurs de santé physique et psychosociaux. En Suède, la population réfugiée est considérée comme vulnérable à la COVID-19, entre autres, compte tenu du nombre plus élevé de personnes en surpoids et obèses, ainsi que d’une plus grande proportion de fumeuses et de fumeurs que chez la population générale (Mangrio et al., 2020). De plus, les personnes ayant déjà une difficulté d’accès aux services sociaux sont plus à risque de développer des complications après avoir contracté la COVID-19 (Gouvernement du Canada, 2022). Les facteurs psychosociaux font référence, entre autres, aux conditions liées à l’emploi et à la détresse psychologique. Selon Pinzón-Espinosa et collaborateurs (2021), la détresse psychologique est en lien avec la peur et le stress de l’expulsion, la perte ou la diminution de l’aide reçue, la discrimination ethnique et la violence sexuelle. Les expériences de discrimination constituent également des facteurs de risque pour les personnes immigrantes, car elles peuvent occasionner un stress plus grand relié à la pandémie (Zhang et Ma, 2020).
Par ailleurs, plusieurs facteurs de protection ont aidé les personnes immigrantes à faire face aux difficultés engendrées par la pandémie. Entre autres, l’implication de la communauté par l’entremise d’actions citoyennes bénévoles a permis de soutenir de manière financière et matérielle les personnes immigrantes. De plus, des initiatives en ligne sont apparues, dont un système de communication à distance permettant de continuer l’apprentissage de la langue du pays d’accueil, la diffusion des cultes religieux et l’utilisation de la télémédecine (Boeira-Lodetti et Prévost, 2020; Debelder et Manço, 2020; Rousseau et al., 2020; Valeriani et al., 2020). Dans ce souhait d’offrir des services aux personnes immigrantes en contexte de pandémie, il demeure important d’impliquer les leadeurs communautaires, tels que les chefs religieux et les représentantes et représentants d’associations de personnes immigrantes, dans le but de faciliter le contact avec les personnes les plus isolées (Debelder et Manço, 2020; Valeriani et al., 2020).
La Clinique santé des réfugiés (CSR)2
de la Capitale-Nationale a ouvert ses portes en 2006. Compte tenu de ses années d’expérience en intervention auprès des personnes réfugiées, l’équipe3
était consciente qu’une situation de crise sanitaire pouvait constituer une condition de vulnérabilité. À partir de ce constat, la Clinique santé des réfugiés a pris une décision importante en mars 2020, à la suite de l’annonce de l’arrivée de la COVID-19 au Québec. Cette décision a été de maintenir la clinique ouverte, de ne pas délester les services destinés aux personnes réfugiées et, par conséquent, d’adapter son offre. Pour ce faire, l’équipe de la CSR s’est mobilisée pour adapter ses services au contexte pandémique afin de connaître les besoins de ses usagères et de ses usagers et d’y répondre.
Cela étant dit, le présent article4
a pour but principal de documenter l’adaptation des services de la Clinique santé des réfugiés de Québec pendant les première et deuxième vagues5
de la pandémie de COVID-19. De plus, des observations seront présentées sur la perception des intervenants concernant les besoins des personnes réfugiées durant la pandémie et les retombées de l’adaptation des services.6
MÉTHODOLOGIE
Cette étude s’inscrit dans un devis de recherche qualitatif.7
En utilisant un raisonnement de découverte et d’exploration, la construction de la connaissance est faite à partir de la subjectivité des acteurs (Fortin et Gagnon, 2016). La collecte de données s’est faite par la réalisation d’entrevues semi-dirigées auprès des intervenantes et intervenants de l’équipe de la CSR y ayant travaillé durant la période du 16 mars 2020 au 31 mars 2021. Le guide d’entretien utilisé lors des entrevues comprenait une série de questions et de sujets concernant les éléments suivants : les services généraux offerts par la CSR ; l’adaptation de ces services lors de l’arrivée de la COVID-19 au Québec ; la mise en place d’un mandat temporaire8
élargissant la population admissible aux services offerts par la CSR ; les réactions émotionnelles et les besoins psychosociaux des usagères et usagers durant la pandémie ; l’impact des interventions ; et l’expérience des intervenantes et intervenants dans l’adaptation des services lors de la pandémie de la COVID-19. Les entrevues ont été réalisées entre les mois de janvier 2021 et de juin 2021 via la plateforme Microsoft Teams.
Les récits recueillis lors des entrevues semi-dirigées ont permis de documenter les interventions effectuées par la CSR de Québec dès l’arrivée de la première vague de la COVID-19. Les étapes de l’analyse des données suivent ce que propose Fortin et Gagnon (2016). Puis, en empruntant une approche principalement inductive (Hlady Rispal, 2002; Thomas, 2006), les données qualitatives ont fait l’objet d’analyses de contenu thématiques distinctes selon les sous-objectifs auxquels elles se rapportent. Le type d’analyse de contenu privilégié dans cette étude est celui de Laurence Bardin (2013), puisqu’il permet de soustraire les thèmes saillants en tenant compte du côté exploratoire proposé par la recherche. Tout d’abord, l’ensemble des données (enregistrements audio et transcriptions des entrevues) a été systématisé afin de dégager les contenus répondant aux objectifs de la recherche. Ainsi, une lecture attentive des entrevues a été effectuée afin de faire ressortir les premiers symboles et mots-clés de l’analyse. Enfin, une grille de codage a été construite et des extraits ont été sélectionnés à partir des transcriptions.
RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Les résultats présentés dans cette section découlent des 15 entrevues réalisées auprès des intervenantes et intervenants (infirmiers cliniciens, infirmiers praticiens spécialisés en première ligne, médecins, nutritionniste, travailleuses sociales) ainsi qu’auprès de gestionnaires, des agents administratifs, et de la coordonnatrice interculturelle. Ces résultats reflètent la perception des intervenantes et intervenants. Les résultats ont été systématisés selon les thématiques suivantes : adaptation des services de la CSR, outil de dépistage, déroulement des interventions, besoins des personnes réfugiées durant la pandémie et retombées de l’adaptation des services.
Adaptation des services de la CSR
En mars 2020, lors de la mise en place des mesures sanitaires par le gouvernement provincial, dont le confinement, la première action de l’équipe de la CSR a été de se réunir pour réfléchir sur la possible vulnérabilité de sa clientèle en contexte de pandémie. Ces réflexions ont permis de mettre en évidence l’importance de ne pas délester ses services et de maintenir la continuité de ses interventions. Par la suite, l’équipe a rédigé un communiqué officiel diffusé par messagerie courriel dans le réseau de la santé et des services sociaux ayant pour but, entre autres, d’attirer l’attention de l’ensemble des intervenantes et intervenants du réseau ainsi que des organismes partenaires sur les possibles signes de détresse pouvant toucher les personnes à statut migratoire précaire en contexte de crise sanitaire. Cette compréhension de la CSR quant à la vulnérabilité des personnes réfugiées concorde avec ce qui a été soulevé par plusieurs chercheuses et chercheurs, soit le fait que, dans ce contexte de crise sanitaire, les situations d’inégalités sont encore plus aggravées chez les personnes immigrantes (Arya et al., 2021; Cross et Gonzalez Benson, 2020; Donà, 2021; Guttmann et al., 2020; Pinzón-Espinosa et al., 2021). Ensuite, étant donné que les interventions dans les locaux de la clinique ne pouvaient pas avoir lieu, l’équipe a dû penser à adapter ses modalités d’intervention. Ainsi, des rencontres entre les membres de l’équipe de la CSR ont été consacrées à la planification de la mise en place de différentes adaptations afin d’assurer une continuité des services offerts aux familles réfugiées arrivées au Québec avant la fermeture des frontières tout en respectant les nouvelles mesures sanitaires imposées en contexte de pandémie. Ces rencontres de planification se sont penchées sur la construction d’un outil, nommé « outil de dépistage », pour la réalisation des interventions téléphoniques et des interventions à l’extérieur de la CSR. Par la suite, l’équipe a décidé d’élargir ses interventions, non seulement aux personnes nouvellement arrivées, mais à toutes les personnes réfugiées arrivées depuis 2018. Sachant que ces personnes étaient encore en période d’adaptation à la société d’accueil, les intervenantes et intervenants avaient pour but de s’assurer de leur bienêtre dans ce contexte de pandémie. Comme l’affirme une intervenante, les objectifs de l’adaptation des services étaient « de signifier notre présence, s’ils avaient besoin, de bien informer les gens, de s’assurer qu’ils avaient la bonne information liée à leur propre protection et par rapport aux autres aussi et de détecter la détresse. »
Outil de dépistage
L’outil de dépistage a été construit par une gestionnaire, des travailleuses sociales et des médecins de la CSR ainsi que par des psychologues du Service d’aide psychologique spécialisée aux immigrants et réfugiés (SAPSIR©).9
Ces derniers ont joué un rôle de consultants et d’experts externes. Trois rencontres ont été réalisées pour l’élaboration de l’outil, pendant lesquelles chaque intervenante et chaque intervenant, après lecture et réflexion, apportait ses contributions. Les modifications du document étaient réalisées par une des travailleuses sociales, et ce, à partir des suggestions soulevées en rencontre.
Cet outil est un instrument qui a pour but de faire une évaluation globale de l’état de santé et de bienêtre des usagères et usagers. Avec des encadrés à cocher, l’outil est divisé en 7 sections : (1) symptômes émotionnels; (2) symptômes comportementaux; (3) symptômes physiques; (4) symptômes associés à la COVID-19; (5) interventions réalisées; (6) opinion professionnelle et recommandations et (7) suivis. L’outil avait également comme objectif d’assurer le transfert de l’information concernant des consignes sanitaires, comme les recommandations de base et les mesures d’hygiène, pour offrir une meilleure compréhension de la situation pandémique. Par ailleurs, la désinformation sur la pandémie est un facteur de vulnérabilité chez les personnes réfugiées qui a été recensé par plusieurs autrices et auteurs (Donà, 2021; Valeriani et al., 2020; Wang et al., 2020). Les personnes allophones ou arrivées récemment au Québec n’ont pas la même capacité de s’informer adéquatement sur les mesures sanitaires, d’où l’importance des appels téléphoniques faits par la CSR. Donà (2021), Rousseau et collaborateurs (2020) et Valeriani et collaborateurs (2020) affirment que les allophones faisaient également partie des groupes les plus touchés par la pandémie en raison, entre autres, des barrières linguistiques, de la méfiance envers l’information fournie par la santé publique et de l’habitude de s’informer par l’entremise des médias du pays d’origine. L’outil de dépistage et les appels téléphoniques ont ainsi permis de transmettre des informations justes et fiables aux familles réfugiées. Tout comme dans l’étude de Wang et collaborateurs (2020), les individus disposant d’informations adéquates sur la pandémie seraient moins touchés sur le plan psychologique, notamment, en ce qui concerne le niveau de stress, d’anxiété et de détresse.
Déroulement des interventions
Les interventions téléphoniques ont été réalisées en deux étapes: la première étape au printemps 2020 et la deuxième étape à l’automne 2020. Ces deux étapes correspondent aux moments des deux premières vagues de la pandémie. Lors des deux étapes, les intervenantes et intervenants pouvaient recontacter les usagères et usagers ayant exprimé des demandes ou celles et ceux ayant suscité une préoccupation particulière. Ces appels ont atteint plus de 500 personnes incluant les enfants de moins de 16 ans. Ainsi, ce sont 274 outils de dépistage qui ont été complétés après la première relance téléphonique. Il est à noter que les informations concernant les enfants ont été enregistrées sur les outils des parents ou de l’adulte responsable. La majorité des appels ont été effectués par les travailleuses sociales et les infirmières de la CSR avec l’aide d’interprètes.
Durant la première étape, les intervenantes et intervenants ont remarqué un certain dédoublement dans leurs interventions lorsque les personnes étaient déjà suivies dans d’autres programmes du réseau de la santé et des services sociaux. Les personnes dans des situations plus vulnérables ont donc été ciblées pour une relance téléphonique. Une deuxième étape a ainsi été mise en place à l’automne 2020 lors de la deuxième vague de la pandémie de la COVID-19 pour recontacter les personnes seules, celles n’ayant pas de services ou celles considérées en plus grande difficulté. Selon les intervenantes et intervenants, cette deuxième étape a également permis de répondre à de nouveaux besoins, ces derniers n’ayant pas été exprimés lors de la première étape.
Ces interventions téléphoniques ont permis aux intervenantes et intervenants de collecter des informations pour l’analyse et l’évaluation de la santé et du bienêtre des personnes réfugiées, de transmettre de l’information sur la COVID-19, de rassurer les personnes, de normaliser certaines de leurs émotions et réactions face à la pandémie ainsi que de briser l’isolement en remettant les coordonnées de la CSR.
Afin de répondre aux exigences sanitaires, en plus des appels téléphoniques, l’équipe de la CSR a dû changer son protocole lors des interventions faites à l’extérieur de la clinique. Des rencontres auprès d’une trentaine de familles réfugiées arrivées juste avant la fermeture des frontières canadiennes ont eu lieu à domicile ou au Centre multiethnique de Québec.10
Par la suite, d’autres familles ont bénéficié également des interventions à domicile. Pour ces interventions, les intervenantes et intervenants ont établi des critères de priorité, entre autres, en fonction de l’âge, de la disponibilité du transport et de l’urgence. Selon les conditions de la personne ou des familles, certaines rencontres étaient aussi planifiées en virtuel. Dans cette adaptation des services, une intervenante est devenue responsable du lien entre la CSR et la santé publique. Ce lien a permis d’informer les personnes des mesures à prendre pour mettre en place les meilleures pratiques possibles de prévention de la COVID-19.
Besoins des personnes réfugiées durant la pandémie
Les entrevues effectuées avec les intervenantes et intervenants de la CSR ont permis d’identifier les besoins des personnes réfugiées pendant la première et la deuxième vagues. Il est à souligner que l’ensemble de ces observations découlent du point de vue des intervenantes et intervenants participants. La vulnérabilité de la population réfugiée, nommée dans plusieurs études, est encore plus visible en raison d’enjeux structurels et sociaux ainsi que de facteurs de risques aggravés par la pandémie (Arya et al., 2021; Cross et Gonzalez Benson, 2020; Debelder et Manço, 2020; Donà, 2021; Guttmann et al., 2020; Mangrio et al., 2020; Pinzón-Espinosa et al., 2021; Rousseau et al., 2020; Valeriani et al., 2020; Zhang et Ma, 2020). Ces besoins seront présentés sous l’angle de l’adaptation des services de la CSR et selon les thématiques suivantes : enjeux structurels et sociaux, facteurs de risque et facteurs de protection.
Enjeux structurels et sociaux
Pour ce qui est des enjeux structurels et sociaux, les résultats ressortis des entrevues sont en lien avec l’accès aux services de santé, les barrières linguistiques et les conditions de vie précaires, ces dernières comprenant l’emploi, le faible revenu, la pauvreté et les conditions de logement.
Tout d’abord, le statut migratoire des personnes réfugiées au Québec permet d’avoir accès au Régime d’assurance maladie et du régime public d’assurance médicaments du Québec (RAMQ) au même titre que la population générale. Leur statut pourrait être considéré comme un facteur de protection en temps de crise sanitaire, si seulement il n’y avait pas plusieurs autres facteurs structurels nuisant à un accès véritable aux services de santé et de services sociaux.
Un des nombreux enjeux menant à des difficultés d’accès aux services de santé et de services sociaux pendant la pandémie a trait aux barrières linguistiques. Ces barrières amènent des difficultés d’accès aux services de santé et de compréhension des informations concernant la pandémie. Selon les intervenantes et intervenants de la CSR, la prise de rendez-vous dans un groupe de médecine familiale pose problème pour plusieurs personnes réfugiées. Elles doivent s’inscrire en ligne, ce qui n’est pas toujours possible pour des personnes allophones, analphabètes ou n’ayant pas de connexion internet. Ainsi, très souvent, leur unique porte d’entrée au système de la santé est celle de l’urgence des hôpitaux, alors que leurs problèmes de santé auraient pu être examinés dans les cliniques médicales, un environnement moins à risque. Les intervenantes et intervenants de la CSR mentionnent également que les personnes réfugiées qui allaient à l’urgence se voyaient souvent placées dans la zone chaude de la salle d’attente, car elles n’étaient pas en mesure de répondre correctement aux questions d’évaluation posées en français ou en anglais. L’absence de services adaptés, par exemple l’utilisation d’interprètes dans les services généraux de santé, peut donc mettre à risque les personnes réfugiées en les exposant à des personnes infectées par la COVID-19. De plus, un manque d’adaptation de l’information sur la situation pandémique et sur les mesures sanitaires annoncées par la santé publique augmente la vulnérabilité des personnes réfugiées. En contexte français, la création de campagnes d’information destinées aux personnes immigrantes ne semble pas les avoir suffisamment protégées; les plus hauts taux de mortalité due à la COVID-19 ont été recensés parmi les personnes immigrantes (Gosselin et al., 2021). Les appels téléphoniques faits par la CSR ont également mis en lumière que les réfugiés étaient peu ou mal informés sur les mesures sanitaires et se retrouvaient infectés par le virus en raison de ce manque d’information claire et adaptée :
Ils ne comprennent pas bien les consignes, mais je ne parle pas seulement des réfugiés, mais les nouveaux arrivants […] on a vu des immigrants qui ont eu la COVID parce qu’ils ne respectaient pas les mesures, mais certains ne les comprenaient pas bien non plus.
Les intervenantes et intervenants ont indiqué que la vulnérabilité à la COVID-19 des personnes réfugiées rencontrées dans le cadre des interventions effectuées lors des première et deuxième vagues de la pandémie n’est pas seulement influencée par les barrières linguistiques, elle est aussi exacerbée par leurs conditions de vie précaires : l’emploi, le faible revenu, la pauvreté et les conditions de logement. Le mode de vie des personnes réfugiées pourrait les rendre plus à risque d’attraper la COVID-19, entre autres, car ces personnes sont surreprésentées dans certains emplois à risque d’infection et de contagion :
Quand ils arrivent ici, ce qu’ils trouvent comme travail, c’est du travail en usine ou du travail pour faire de la maintenance. Je ne dis pas pour tous, mais pour plusieurs d’entre eux, pour ceux qui veulent faire des programmes courts, ils vont faire des programmes de maintenance d’édifice public ou ils vont faire des cours de préposé aux bénéficiaires par exemple […]. Donc ils ont été dans ce groupe […] touché directement par la COVID.
En ce sens, tout comme ce qui a été constaté chez des millions de personnes immigrantes travaillant dans des services essentiels aux États-Unis (Cross et Gonzalez Benson, 2020), les personnes réfugiées occupant des emplois dans les secteurs de la santé, des services sociaux et des transports publics dans la région de Québec se sont retrouvées dans l’impossibilité de faire du télétravail. Par conséquent, elles ont été plus à risque d’être en contact avec des personnes atteintes de la COVID-19. En contexte canadien, presque la moitié des femmes testées positives à la COVID-19 dans le système de santé étaient des femmes immigrantes et réfugiées (Guttmann et al., 2020). Il est donc clair que certains enjeux structurels augmentent le risque d’infection des personnes réfugiées à la COVID-19.
Un élément en lien avec les conditions de vie précaires observé par les intervenantes et intervenants ayant été aggravé par la pandémie est celui du faible revenu et de la pauvreté. Selon les entrevues réalisées par la CSR, la fermeture de nombreux services a contribué à la précarité financière des nouvelles familles réfugiées et au manque de ressources matérielles. D’autres ont vu la poursuite de leur formation professionnelle et leur recherche d’emploi devenir plus difficiles. En effet, l’instauration de cours à distance par les institutions d’enseignement, lors de la première vague de la COVID-19, demandait l’accès à internet et à un ordinateur. Ces ressources matérielles étaient souvent inaccessibles pour les familles réfugiées en raison du peu de ressources financières et, pour certains, en raison des connaissances en informatique insuffisantes.
Les intervenantes et intervenants ont également remarqué que les conditions de logement aggravaient la situation de vie précaire des familles réfugiées pendant la pandémie. Ces conditions pouvant être inadéquates engendrent une plus grande exposition au virus. En effet, la pénurie de logements dans la ville de Québec a intensifié la difficulté à trouver un logement pour les grandes familles réfugiées. Les intervenantes et intervenants ont partagé que, pendant la première vague de la COVID-19 en mars 2020, le délai des démarches de relocalisation des familles a augmenté obligeant certaines d’entre elles à rester dans de petites chambres pendant plusieurs mois. Même une fois dans leur logement permanent, les conditions d’habitation ne permettaient pas de pratiquer la distanciation ou d’avoir un espace personnel. Les enfants sont souvent plusieurs dans une même chambre et, quand un enfant contractait le virus, le taux de contagion était très élevé :
Ils ont de grosses familles et ils vivent dans des appartements qui ne sont pas chers […] c’est difficile d’isoler celui qui est malade, parce qu’ils sont plusieurs […] dans des appartements avec des familles de 7 enfants. Alors, c’est très difficile.
Selon les intervenantes et intervenants, la population de la Capitale-Nationale, de manière générale, a été peu touchée par la première vague de la pandémie; cette observation est également valide pour la population réfugiée de ce territoire. Par contre, les écoles de la capitale ont été fortement touchées par la deuxième vague, ayant pour effet de rendre cette population plus vulnérable. Les intervenantes et intervenants ont observé que plusieurs familles dont un des enfants avait été contaminé à l’école se retrouvaient victimes du virus, car elles n’avaient aucun moyen de se confiner adéquatement. Ces défis liés à la disponibilité d’un espace personnel et à la capacité d’isolement de chacun ont aussi été observés dans l’étude de Gosselin et collaborateurs (2021) dans le secteur du Grand Paris. La pandémie met en évidence l’urgence de mettre en place des actions concrètes afin d’héberger celles et ceux qui n’ont pas accès à un endroit de quarantaine dans le cas d’une contagion de la COVID-19 (Guttmann et al., 2020).
Facteurs de risque
En plus des enjeux structurels et sociaux aggravés par le contexte de la pandémie de la COVID-19, différents facteurs de risques ont également été répertoriés lors des entrevues auprès des intervenantes et intervenants de la CSR. En ce sens, les résultats ressortis des interventions réalisées par la CSR pendant la première et la deuxième vagues de la pandémie de COVID-19 sont en lien avec les facteurs de risque suivants: l’immigration involontaire, la méconnaissance des mesures sanitaires, la réorganisation familiale et l’isolement et les problèmes de santé récents ou chroniques.
Tout d’abord, le premier facteur de risque soulevé par les intervenantes et intervenants a été l’expérience d’immigration involontaire chez les personnes réfugiées. En effet, le contexte de crise sanitaire pourrait déclencher une détresse psychologique importante chez ces personnes qui ont déjà un vécu antérieur très difficile, voire traumatique :
Il y en a qui arrivent déjà très vulnérables, parce qu’ils ont eu un parcours migratoire très difficile, si on arrive d’un pays en guerre, si on a été dans les camps pendant longtemps […], qu’on a des séquelles psychologiques et qu’en arrivant ici on est déjà très fragile, ajouter le stress d’attraper un virus qui est potentiellement mortel, ça vient ajouter plus.
Comme soulevé par l’étude de Raifman et Raifman (2020), les minorités culturelles, dont les personnes réfugiées ayant déjà des problèmes de santé physique ou de la détresse émotionnelle, ont une plus grande tendance à subir des impacts négatifs de la pandémie. Cependant, le fait que certaines personnes réfugiées aient déjà connu des situations épidémiques pourrait aussi atténuer l’effet anxiogène et déstabilisant des mesures sanitaires. De ce fait, les intervenantes et intervenants ont mentionné que, lors des appels téléphoniques, certains usagers disaient avoir déjà « vu et connu pire ».
Ensuite, la méconnaissance des mesures sanitaires, notamment en lien avec les difficultés de la maîtrise du français ou de l’anglais, et avec les changements fréquents des mesures sanitaires, a engendré plusieurs incompréhensions chez les personnes réfugiées :
Il y en avait qui n’avaient pas compris l’information ou qui ne savaient pas qu’ils avaient le droit de sortir pour aller faire l’épicerie. Il y en avait qui barricadaient leurs fenêtres, parce qu’ils pensaient que le virus allait rentrer partout, donc ils ne savaient pas qu’ils pouvaient sortir pour prendre l’air. Ça faisait trois semaines qu’ils étaient enfermés à presque ne plus avoir de réserves de nourriture, tu sais, de voir aussi toutes les croyances quand on n’a pas accès à l’information.
Concernant la méconnaissance des mesures sanitaires, des auteurs mettent en évidence les impacts psychologiques de la désinformation, notamment l’augmentation de l’anxiété et du stress (Wang et al., 2020), ainsi que les taux plus bas de personnes immigrantes qui passent des tests de dépistage de la COVID-19 (Mares et al., 2021). Selon Arya et collaborateurs (2021), l’accès aux tests de dépistage, aux soins et à la vaccination liés la COVID-19 devraient être mis de l’avant d’une manière à soutenir les personnes réfugiées et à diminuer les obstacles aux soins de santé.
Par ailleurs, les intervenantes et intervenants soulèvent que le contexte pandémique a obligé plusieurs personnes à réorganiser leur routine ainsi que celle de leur famille. D’un côté, les familles nombreuses ont rencontré plusieurs défis quant à la gestion des enfants qui se retrouvaient à la maison et à une nouvelle routine pour toute la famille. Les intervenantes et intervenants ont remarqué que les habitudes de vie des familles réfugiées se trouvaient grandement perturbées. D’un autre côté, les personnes réfugiées qui sont arrivées seules se sont retrouvées encore plus seules, voire isolées. La fermeture des écoles, des lieux de cultes et la perte de l’emploi représentent seulement quelques-uns des facteurs en lien avec l’isolement :
Des personnes réfugiées qui sont arrivées seules, bien elles sont encore plus seules. Le fait qu’elles peuvent moins participer à la vie de l’Église par exemple, où elles pouvaient se rejoindre en communauté, le fait qu’elles n’allaient pas à l’école ou qu’elles n’allaient pas au travail ou qu’elles avaient perdu leur travail... ça faisait qu’elles avaient moins de contact avec d’autres. […] c’est plus les personnes seules qui sont deux fois plus seules on dirait, parce qu’elles n’ont même pas eu la chance de se développer un réseau à travers même la première vague. Surtout quand elles sont arrivées récemment ou au début [de la pandémie].
Selon les intervenantes et intervenants, lors des appels téléphoniques, peu de symptômes émotionnels ont été repérés à l’aide de l’outil de dépistage. Selon eux, l’inquiétude et l’insécurité étaient les symptômes les plus fréquemment observés lors des premiers appels téléphoniques. Par la suite, les intervenantes et intervenants ont également identifié une augmentation de l’isolement chez leurs usagères et usagers. En ce sens, il est possible d’émettre l’hypothèse qu’en début de pandémie, lors des premiers appels téléphoniques, les personnes étaient encore prises par surprise par la crise sanitaire, ce qui se manifestait plus par des inquiétudes et des insécurités. Avec le temps, les personnes se sont retrouvées de plus en plus seules. Les intervenantes et intervenants expliquent cet isolement, entre autres, par le peu de temps écoulé depuis l’arrivée au Québec, l’absence d’accès à un lieu de culte et les contacts restreints avec les membres de leurs familles et amis demeurés au pays. En lien avec ceci, Mares et collaborateurs (2021) soulignent qu’en raison des mesures sanitaires en vigueur pour contrôler la propagation de la pandémie, dont le confinement, l’isolement est bel et bien un des facteurs de risques de santé mentale pour les personnes déjà extrêmement vulnérables.
Enfin, les problèmes de santé récents ou chroniques ont été des facteurs de risques soulevés par les intervenants lors des entrevues. Pour ce qui est des problèmes de santé physique, le fait de rester à la maison et d’être plus sédentaires a accentué certaines maladies chroniques chez les personnes réfugiées, comme l’hypertension et le diabète. De plus, en ce qui concerne les problèmes de santé récents, la pandémie a créé un contexte d’urgence sanitaire où les personnes s’empêchaient d’aller chercher de l’aide au sein du réseau de la santé et des services sociaux :
Ça fait un an qu’il n’a pas d’appareil auditif, mais il se disait toujours « on va attendre, on va attendre », mais ça fait un an qu’il ne fait pas d’apprentissages à l’école parce qu’il n’a pas d’appareil auditif […] les gens n’osaient pas aller chercher [de l’aide], « ça va passer, ça va passer, ça va passer ».
En plus d’une certaine hésitation à aller chercher de l’aide dans ce contexte de crise sanitaire, les intervenantes et intervenants ont soulevé le fait que les personnes réfugiées sont nombreuses à ne pas avoir un médecin de famille, ce qui a causé une détérioration importante de problèmes de santé déjà existants. Il s’ajoute à ceci la détresse psychologique en lien avec les difficultés personnelles et les besoins psychosociaux repérés par les intervenantes et intervenants.
Après le premier appel téléphonique de dépistage, les intervenantes et intervenants ont affirmé que les personnes réfugiées avaient tendance à reprendre contact avec la CSR. Lors de ces contacts subséquents, elles demandaient de l’aide au sujet des préoccupations, des difficultés au niveau personnel, des besoins psychosociaux ou des problèmes de santé physique. Les intervenantes et intervenants ont également remarqué l’apparition de symptômes en lien avec des troubles de sommeil. Cette vulnérabilité a aussi été remarquée en Europe où le contexte pandémique a amené une détérioration de l’état de santé général chez les personnes réfugiées (Pinzón-Espinosa et al., 2021).
Facteurs de protection
Finalement, les entrevues auprès des intervenantes intervenants ont permis d’identifier certains facteurs, dont les pratiques religieuses, qui ont eu un rôle de protection pour les personnes réfugiées dans le contexte de la pandémie. En ce sens, il a été mentionné, à quelques reprises, que les personnes réfugiées gardaient espoir en faisant appel à leur foi en Dieu. La prière était une pratique répandue parmi ces personnes qui, par cette stratégie, pouvaient retrouver un sentiment de sécurité et de bienêtre. Le rôle de la religion est souvent mentionné dans les recherches comme un facteur de protection et une source de résilience chez les personnes réfugiées (Boeira-Lodetti et Martins-Borges, 2020). Afin de garantir une continuité de la pratique religieuse, différentes organisations au Québec ont utilisé des stratégies en ligne pour la diffusion des célébrations religieuses (Rousseau et al., 2020).
Retombées de l’adaptation des services réalisée par la CSR
Les interventions réalisées par la CSR pendant la première et la deuxième vagues de la COVID-19 ont eu des retombées considérées positives, selon la perception des intervenantes et intervenants. L’analyse des entretiens réalisés permet d’émettre deux hypothèses en ce qui concerne les retombées de l’adaptation des services à la CSR. La première fait référence à la satisfaction perçue des usagers réfugiés vis-à-vis les adaptations réalisées dans l’offre de services de la clinique pendant la pandémie. La deuxième hypothèse est le rôle de prévention de l’utilisation de l’outil de dépistage et des interventions sur la santé et le bienêtre des personnes réfugiées.
Les appels téléphoniques et les interventions réalisées à l’extérieur de la CSR semblent avoir été appréciés par les personnes réfugiées. Cette satisfaction a été traduite par l’expression d’un sentiment de rassurance et par le maintien de leur lien avec la CSR :
« Les gens étaient très, très, très, très rassurés d’être appelés par le CSR. Ils se sentaient pris en considération et importants puisqu’on avait pensé à eux. »
Tout d’abord, ces interventions ont rendu possible la continuité des services offerts à leur clientèle et ont évité, ainsi, le bris et le vide de services. Plus spécifiquement, selon les intervenantes et intervenants, l’outil de dépistage utilisé lors des appels téléphoniques a permis aux personnes réfugiées d’obtenir des précisions concernant la situation sanitaire, de mieux comprendre les impacts de la pandémie sur leur quotidien ainsi que de normaliser les émotions vécues et les réactions des enfants devant le changement de routine. Les interventions téléphoniques ont également permis d’identifier les principaux enjeux et problèmes afin d’adapter leurs suivis aux spécificités des besoins nommés par les usagères et usagers.
Il est donc possible d’émettre une deuxième hypothèse quant aux retombées de l’adaptation des services à la CSR. Les interventions téléphoniques, surtout celles réalisées dès les premiers jours du confinement, auraient eu un effet préventif de la détresse psychologique et de l’aggravation de certains problèmes de santé chez les personnes réfugiées :
La prévention, c’est important comme impact et comme bénéfice. Ils ont été rassurés, informés […]. Le fait qu’on leur a rappelé leurs forces, en leur demandant ce qu’ils faisaient avant, ce qui fonctionnait. Et ils disaient « on dirait que j’avais tout oublié ce que je faisais et juste le fait que vous m’avez fait réfléchir à ça, j’ai remis en place et ça a vraiment aidé ».
En ce sens, en plus d’avoir permis une continuité de l’offre de services destinée à la population de personnes réfugiées réinstallées dans la région de Québec, les interventions téléphoniques ont permis d’aider les personnes réfugiées à réactiver leurs mécanismes de protection. La réactivation de ces mécanismes aurait alors joué un rôle de prévention sur la santé et le bienêtre des personnes réfugiées pendant la pandémie.
CONCLUSION
La réalisation de cette recherche a permis de mettre en lumière quelques faits saillants concernant l’adaptation des services réalisée par la Clinique santé des réfugiés de Québec lors des première et deuxième vagues de la pandémie de la COVID-19. Ainsi, il a été possible d’identifier certains besoins des personnes réfugiées durant la pandémie et les retombées de l’adaptation des services, et ce, selon la perception des intervenantes et intervenants.
Tout d’abord, la reconnaissance que les personnes réfugiées constituent une population vulnérable en contexte de pandémie et la connaissance préalable de l’équipe sur les besoins de leurs usagères et usagers ont été essentielles pour la mise en place des différentes adaptations de services au sein de la CSR. Cette reconnaissance a assuré la présence des intervenantes et intervenants à la CSR et, par conséquent, a évité un délestage des activités. Dans le contexte provincial du Québec, le CIUSSSCN a d’ailleurs été le seul établissement québécois à ne pas délester les services destinés aux personnes réfugiées. L’élaboration de l’outil de dépistage a permis l’organisation des interventions téléphoniques afin de bien identifier et de répondre aux besoins des personnes réfugiées pendant la crise sanitaire. Par la suite, l’utilisation de l’outil de dépistage lors des appels téléphoniques a permis l’évaluation globale de l’état de santé et de bienêtre des usagères et usagers ainsi que la transmission de l’information au sujet de la pandémie et des mesures sanitaires en vigueur. Cette expérience, considérée positive par l’équipe et les gestionnaires de la CSR, peut être partagée avec d’autres CSR du Québec soumises aux mêmes orientations ministérielles et également avec d’autres services de santé et sociaux canadiens destinés aux personnes réfugiées pour baliser des protocoles d’intervention lors d’éventuelles crises.
Les besoins des personnes réfugiées pendant la pandémie ont été présentés sous deux angles, celui des enjeux structurels et sociaux et celui des facteurs de risque aggravés par la pandémie. La première catégorie a mis en lumière des enjeux en lien avec l’accès aux services de santé, les barrières linguistiques et les conditions de vie précaires. Ensuite, les facteurs de risque identifiés sont l’expérience de l’immigration involontaire, la méconnaissance des mesures sanitaires, la réorganisation familiale, l’isolement ainsi que les problèmes de santé récents ou chroniques.
Les résultats de cette recherche suggèrent que les appels téléphoniques ont joué un rôle de prévention pour les personnes réfugiées. Lors des appels téléphoniques, les intervenantes et intervenants ont observé un bas taux de symptômes émotionnels, comportementaux et physiques chez les personnes réfugiées, ce qui pourrait être expliqué par cette réaction et adaptation rapides de l’offre des services de la CSR. Dès le début de la pandémie, ces personnes ont pu être rassurées par la présence d’un service qu’elles connaissaient déjà. Ce rôle de prévention pourrait donc s’expliquer par les retombées positives de l’adaptation de services qui ont permis aux personnes réfugiées de recevoir des précisions concernant la situation sanitaire, de comprendre les impacts de la pandémie sur leur quotidien, d’être rassurées, de normaliser les émotions vécues et les réactions des enfants, de mobiliser et réactiver leurs forces et mécanismes de protection et, enfin, d’assurer la continuité du lien de confiance entre elles et la CSR.
L’analyse des données de recherche suscite des réflexions concernant les limites méthodologiques et les angles non explorés de la recherche. Tout d’abord, les résultats expriment exclusivement la perception des intervenantes et intervenants. Une confrontation de ces perceptions à celles des personnes réfugiées permettrait de vérifier les hypothèses soulevées et de connaître plus en profondeur les impacts de l’adaptation de l’offre de services sur les personnes concernées. Pour cela, des études longitudinales et évaluatives seraient à privilégier. Compte tenu de la nature de ces recherches, une démarche interculturelle est impérative. Enfin, il serait aussi intéressant et pertinent d’évaluer les retombées de cette recherche sur l’équipe et sur le mandat de la CSR.
Resumé
Abstract
Main Text
MÉTHODOLOGIE
RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Adaptation des services de la CSR
Outil de dépistage
Déroulement des interventions
Besoins des personnes réfugiées durant la pandémie
Enjeux structurels et sociaux
Facteurs de risque
Facteurs de protection
Retombées de l’adaptation des services réalisée par la CSR
CONCLUSION